Biographie illustrée de Sri Tirumalai Krishnamacharya « Le maître des maîtres »

Une bibliographie par Isha Khosla du père du yoga moderne, Tirumalai Krishnamacharya, en français et illustrée en images colorisées.

Biographie Sri Tirumalai Krishnamacharya
Source : www.zenyoga-berlin.de par Isha Khosla
Traduction : Marie Brunel et Éric Savalli


1888 : la naissance de la légende

Sri Tirumalai Krischnamacharya est né le 18 novembre 1888 à Muchkundapuram (à 200 km au nord ouest de Mysore), dans l’état du Karnatka, dans une famille Brahman. Il appartenait à la famille Tirumalai, son père Tirumalai Srinivasa Tatachary et sa mère Ranganayakamma étaient tous deux des fidèles de Sri Vaishnavas. Krischnamacharya est ainsi issu d’une famille d’érudits et de prêtres.

Krischnamacharya était l’aîné d’une fratrie de six enfants et a été instruit par son père lui-même. Srinivasa Tatachary lui a enseigné les Vedas et d’autres textes religieux, dans la tradition des gurukul1, dans lesquels les enseignants étaient très sévères avec leurs élèves.

Comme il est mentionné dans « Le Yoga du yogi – l’héritage de T. Krischnamacharya », le père de Krischnamacharya avait l’habitude de réveiller ses étudiants à deux heures du matin pour des échanges sur les Vedas et la pratiques des asanas. La méthode d’enseignement consistait en la répétition des textes jusqu’à ce que l’étudiant puisse les réciter sans erreurs. La devise principale était de perseverer dans la pratiquer jusqu’à atteindre la perfection de l’action. La rigueur de l’enseignement de Krischnamacharya peut découler de cette éducation dans la tradition des gurukul.

De 1888 à 1900 : les jeunes années

Le père de Krischnamacharya mourut alors que celui-ci avait 10 ans, après quoi sa famille s’installa à Mysore. À 12 ans, Krischnamacharya suivi l’enseignement à Parakala Mutt, alors que son grand-père y était prêtre. Il y reçu un enseignement en Vedanta2, Vyakarna (grammaire sanskrit) et Tarka (logique).

Parakala Matha (ou Mutt) est un monastère (Matha) Vaishnava situé dans l’état du Karnataka. C’était le premier monastère de l’époque médiévale dénommé « Vadalalai » de la tradition Vishnouiste3. Les enseignements dispensés à Parakala Matha sont basés sur la philosophie de Sri Ramunja (1017-1137 ap. JC). Celui-ci était un théologien hindu, philosophe et l’un des plus réputés de la tradition Sri Vaishnavism dans l’hindouisme Ramanuja. Il a contribué à consolider l’école Visistadvaita Vedanta de la philosophie hindousite et est reconnu comme un saint dans la branche Sri Vaishnava de l’hindouisme.

Parakal Math - Mysore (XXe siècle) - photo : Christopher Fynn
Parakal Math – Mysore (XXe siècle) – photo : Christopher Fynn

En 1904, Une transmission issue d’une Transe miraculeuse

La légende raconte que lorsque Krishnamacharya avait tout juste 16 ans, il fit un rêve étrange dans lequel son ancêtre Nathamuni lui ordonnait d’aller visiter un petit village de l’état de Tamil Nadhu, connu sous le nom d’Alvar Triunagri, dans le but de découvrir le Yoga Rahasya (le secret du Yoga).

Le jeune garçon voyagea jusqu’à ce village. Là, il rencontra un vieil homme qui le guida sur un chemin précis, et rapidement, il se retrouva en état de transe, entouré de manguiers, et rencontra trois sages. L’un d’entre eux était Nathamuni, et tous ensemble, ils récitèrent des versets. Sorti de sa transe, Krishnamacharya réalisa qu’il n’y avait aucun sage avec lui, mais il se remémorait tous les versets. Il couru retrouver le vieil homme, qui lui sourit et lui dit qu’il avait été béni par la connaissance du Yoga Rahasya.

Selon l’ouvrage de référence « Yoga Body – The Origins of Modern Posture Practice » de Mark Singleton, d’après son fils Desikachar, et d’après les recherches menées par d’autres érudits, la soi-disant affirmation de Krishnamacharya selon laquelle il aurait « canalisé » le Yoga Rahasya à l’âge de seize ans lorsqu’il a rencontré une incarnation du saint Nathamuni, âgé de 1200 ans, n’est pas tout à fait vraie, car le Yoga Rahasya semble être une création moderne. Bien que Krishnamacharya semble en offrir une demi-confession dans son prélude, où il dit : « Je construis l’essence du Yoga Rahasya pour plaire aux savants. Je présente ici tout ce dont je me souviens. »

1906 et les années suivantes : 10 ans d’apprentissage

Comme il est écrit dans ses biographies, Krishnamacharya, à partir de 18 ans, afin de parfaire son éducation, a passé 10 ans dans différentes villes comme Bénarès, Bihar et Mysore, où il a maîtrisé les principaux darsanas (philosophies) et tarka (logique). Il a appris le vyakarana (grammaire sanskrite) auprès de Brahmashri Shivakumar Shastry.

Dans les année 1909 à 1914, il étudia le Vedanta, la musique, apprit à jouer de la vînâ4 de Swami, à Parakala Matha.

En 1914, Krishnamacharya est brusquement parti pour Bénarès, où il suivi des cours au Queen College et subvint à ses besoins en mendiant. Il y a rencontré son mentor (Gaganath Jha) et fit une demande de bourse d’étude. Krishnamacharya déclare qu’un saint a vu sa pratique et l’a envoyé à l’expert en yoga Sri Babu Bhagvan Das, qui lui a permis de se présenter en tant que candidat libre de l’Université de Patna.

Dans son livre « Santé, guérison et au-delà – le yoga et la tradition vivante de T. Krishnamacharya », Desikachar a mentionné un épisode merveilleux dans l’autobiographie de son père : « … en une nuit (Brahmashri Shivakumar Shastry) m’a appris des aspects rares et secrets de la grammaire sanskrite. Mais il perdit la parole le lendemain. »

Pourquoi Krishnamacharya a-t-il choisi de partir pour Patna et pour le Tibet pour approfondir ses connaissances de la philosophie du Yoga quand l’un des plus grands érudits indiens sur le sujet était son ami et mentor de Varanasi Ganganath Jha ?

Les biographies de Desikachar de 1997, 1998 et 2005 le situent à Bénarès entre 1906 et 1909, puis à nouveau entre 1914 et 1915 (ou 1914 et 1917, suivi de sept ans au Tibet). Mais aucune de ces dates ne permet une rencontre de quelque sorte que ce soit – sans parler du développement d’un lien d’amitié fort – entre Krishnamacharya et Jha, à un moment situé entre 1906 et 1918. De plus, selon les archives du Queen College, le titre officiel de Muralidhara Jha était « Vice Principal of Sanskrit Queen College » plutôt que « Ganganath Jha ». Jha fut, de 1902 à 1918, professeur de sanskrit au Muir College d’Allahabad et n’arriva à Bénarès qu’en 1918.

Un autre problème chronologique dans l’itinéraire universitaire de Krishnamacharya concerne l’Université de Patna, selon l’ouvrage de David Gordon White, « The Yoga Sutra of Patanjali – A Biography ». Le chapitre 12, « L’étrange cas de Krishnamacharya » est une lecture essentielle pour comprendre la construction de sa personnalité et de son travail, où il est dit qu’il aurait passé un examen de philosophie Samkhya-Yoga auprès d’un enseignant anonyme. L’Université de Patna n’a été fondée qu’en 1917 et ses premiers examens n’ont eu lieu qu’en 1918.

1915, le pèlerinage dans l’Himalaya

Krishnamacharya aurait séjourné au sanctuaire du mont Kailash au Tibet pendant 7 ans, selon l’ouvrage de 1934 de T. Krishnamacharya « Yoga Makarkansa 1– A Book on Āsana Practice », (traduit en 2006 à partir de l’édition de 1938). Il y aurait étudié la thérapie par le yoga dans la grotte de Ramamohana Brahmachari, supposément âgé de 230 ans. Il y a appris le précepte du pranayama, a vécu en se nourrissant de fruits, et a poursuivi ses études pendant 7 ans (1915-1922). Plus tard, il apprit par cœur les yoga sutras Patanjali et a appris à évaluer la santé des êtres vivants en mesurant le rythme cardiaque et le pouls.

Selon Krishnamacharya, le saint connaissait 7000 asanas mais lui Krishnamacharya ne maîtrisait que 3000 asanas. En outre, il a admis avoir étudié Yoga Korunta – un texte tibétain sur la guérison par le yoga – et avoir fait des voyages à Kaboul, au Cachemire (pour le soufisme) et en Birmanie (pour le yoga bouddhiste). Lorsque sa tutelle prit fin, son gourou lui dit de se marier et de gagner sa vie par le yoga.

Tous les biographes de Krishnamacharya situent son maître de yoga, Ramamohana Brahmachari, dans une grotte au bord du lac Manasarovar ou au pied du mont Kailash au Tibet. Pourtant, selon le propre récit de Krishnamacharya, dans son ouvrage de 1934 « Émeraude du yoga », son professeur « qui a maîtrisé sept mille asanas », ne vivait pas au Tibet, mais plutôt « au Népal, vivant à Muktinarayanakshetram ». Muktinarayana (également connu sous le nom de Muktinath) est le nom d’un important sanctuaire Vaishnava situé dans le nord du Népal, à plus de deux cents kilomètres à vol d’oiseau du mont tibétain Kailash. Il est difficile d’imaginer comment Krishnamacharya aurait pu faire ce chemin sur l’un des terrains les plus accidentés du monde.

1925, le mariage

A 37 ans, Krishnamacharya épousa une fillette de 11 ans, Shrimati Ammagiriama. Leur mariage dura 60 ans.

Tirumalai Krishnamacharya et son épouse Shrimati Ammagiriama
Picture courtesy : KYM Archives (colorized and restored by Eric Savalli – YogaAzur.fr)

Les années 1930 : le yogi et Mysore Maharaja Krisharaja Wodejar

Le Maharaja était un homme malade, il souffrait d’une multitude de maux dont le diabète et l’infertilité et même les meilleurs médecins n’étaient pas en mesure de le guérir (référence : Desikachar, T. K. V. et Richard H. Cravens, « Santé, guérison et au-delà – yoga et la tradition vivante de T. Krishnamacharya »). Lors des célébrations du soixantième anniversaire de sa mère à Kasi, le Maharaja entendit parler des compétences de guérison de Krishnamacharya. Par la suite, il invita Krishnamacharya à une démonstration dans l’auditorium public de la place Jagmohan, à Mysore.

Krishnamacharya Yoga Demo at Jaganmohan Palace, Mysore – KYM archives
Démonstration de Yoga par les élèves de Krishnamacharya au Jaganmohan Palace, Mysore
Picture courtesy : KYM Archives (colorized and restored by Eric Savalli – YogaAzur.fr)

De plus, il lui fournit un lieu pour ouvrir un Yogashala5, les cours étaient ouverts aux gens de tous les âges et de tous horizons. Krishnamacharya devient le médecin et le conseiller du roi de Mysore. Il devient également père lorsque naquit son premier enfant, une fille, Pundarikavalli.

Il écrivit « Makarkanda 1 ». Il lui a fallu 7 jours pour achever le livre, l’une de ses nombreuses publications. Krishnamacharya y explique le but du yogabhyasa (la pratique du yoga ou de la dévotion abstraite) et ce pourquoi c’est une pratique importante qui influence le bien-être de l’esprit et du corps. Il y explique que le but du yoga est d’attirer l’esprit vers l’intérieur pour atteindre une concentration profonde afin de développer une forme de force mentale. Le bénéfice de ce processus est comparable à la façon dont le sommeil rajeunit l’esprit, dans lequel le sommeil est de nature tamasique. La force mentale développée par le yogabhyasa est appelée yoga nidra et elle dépasse de loin en force et en concentration ce que le sommeil ou la méditation peuvent offrir.

De 1947 à 1952, les premières années après l’indépendance

Le Maharaja mourut en 1940, tout comme l’intérêt pour le yoga de son héritier. La famille s’était agrandie au fil du temps, ses enseignements à Mysore prirent fin en 1947 (qui fut également l’année de l’indépendance de l’Inde). Au cours de ces années, Krishnamacharya perdit ses élèves britanniques et la population locale avait du mal à subvenir aux besoins de base et à s’installer dans l’Inde libre. Il n’y avait donc plus beaucoup d’étudiants désireux d’étudier des textes anciens et d’apprendre le yoga. En 1952, il fut invité à déménager à Madras par un avocat renommé qui demanda l’aide de Krishnamacharya pour se remettre d’un accident vasculaire cérébral. À ce moment-là, Krishnamacharya avait une soixantaine d’année et sa réputation d’enseignant strict et intimidant s’était quelque peu adoucie.

À Madras, Krishnamacharya accepta un poste de chargé de cours au Vivekananda College. Il commença également à enseigner à des étudiants issus d’horizons divers et de diverses conditions physiques, ce qui l’a obligé à adapter son enseignement aux capacités de chaque élève. Pour le reste de sa vie d’enseignant, Krishnamacharya a continué à affiner cette approche individualisée, connue alors sous le nom de Viniyoga. Beaucoup considéraient Krishnamacharya comme un maître de yoga, mais il a continué à se définir comme un étudiant parce qu’il sentait qu’il était toujours en train « d’étudier, d’explorer et d’expérimenter » autour de sa pratique. Tout au long de sa vie, Krishnamacharya a refusé de s’attribuer le mérite de ses enseignements innovants, mais a plutôt attribué ces connaissances à son gourou ou à des textes anciens.

1989, les adieux

À l’âge de 96 ans, Krishnamacharya s’est fracturé la hanche. Refusant la chirurgie, il s’est soigné et a conçu une pratique qu’il pourrait réaliser au lit. Krishnamacharya a vécu et enseigné à Chennai jusqu’à ce qu’il tombe dans le coma et décède en 1989, à l’âge de cent ans. Ses facultés intellectuelles sont restées aiguisées jusqu’à sa mort, et il a continué à enseigner et à guérir chaque fois que la situation se présentait.

Bien que ses connaissances et son enseignement aient influencé le yoga dans le monde entier, Krishnamacharya n’a jamais quitté son Inde natale.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de lui, mais Krishnamacharya a influencé ou peut-être même inventé votre yoga. Que vous pratiquiez les séries dynamiques de Pattabhi Jois, les alignements raffinés de B. K. S. Iyengar, les postures classiques d’Indra Devi ou le vinyasa personnalisé de Viniyoga, votre pratique découle d’une seule source : un brahmane de cinq pieds et deux pouces né plus de il y a cent ans dans un petit village du sud de l’Inde.

Néanmoins, la succession des événements de la vie de Krishnamacharya reste mystérieuse, mais nous ne pouvons pas oublier que son parcours et ses enseignements ont créé une forme extraordinaire de yoga qui est pratiquée par des générations et sera repris par les générations futures.


Notes :

1- Voir, en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Gurukula . Les étudiants vivent avec ou auprès du maître (gourou en sanskrit), dans la même maison, les élèves assistant le maître dans toutes les tâches de la vie quotidienne, en plus de l’enseignement.

2– Interprétation philosophique des Vedas

3– https://fr.wikipedia.org/wiki/Vishnouisme : « Le vishnouisme (vaishnavisme) est un courant de l’hindouisme basé sur le système philosophique et religieux du Védanta. Sa pratique est la dévotion (bhakti) envers Vishnou comme Dieu suprême en tant que tel ou à travers ses incarnations Krishna et Rāma. C’est l’une des plus importantes expressions spirituelles de l’hindouisme avec le shivaïsme. »

4– Terme désignant deux familles d’instrument à corde indien.

5– Centre d’enseignement dédié au yoga.


Pour aller plus loin…

/1/ Un film de Yogacarya T Krishnamacharya en N&B tourné en 1938

/2/ Ce documentaire vidéo exclusif en HD et en version française sur le père du yoga moderne…

Des références et détails supplémentaires seront prochainement apportés ici-même.
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Dernière mise à jour 1 mai 2023 – Mise en ligne : le 1 mai 2023
Eric Savalli – Yoga Azur

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