🧘🏻 Fabrice Midal : “À travers la méditation, en période de crise, on transforme son angoisse”

Article initial : http://www.lavie.fr/spiritualite/mediation/fabrice-midal-a-travers-la-meditation-en-periode-de-crise-on-transforme-son-angoisse-14-05-2020-106293_823.php

Créateur de l’École occidentale de méditation, Fabrice Midal a notamment publié Foutez-vous la paix ! Et Commençez à vivre en 2017. Ou Sauvez votre peau ! Devenez narcissique en 2018.

Avec la crise sanitaire, certaines applications de méditation ont connu un boom. La période est-elle propice à la méditation ?

Je ne crois pas qu’il y ait des moments plus propices que d’autres. Il faut d’abord se demander ce que c’est que méditer. Pour moi, ce n’est pas se vider la tête afin de devenir plus performant. C’est entrer en rapport avec son humanité, avec attention, tendresse, vérité. Ce n’est pas s’enfermer dans sa bulle, pratiquer l’évitement, la fuite émotionnelle : fuir ne résout rien. La méditation, c’est un engagement dans le monde, un acte éthique. Elle aide à se désaliéner de ce qui entrave la vie en nous. Il ne faut pas avoir peur de rencontrer ce que l’on est, pour transformer ses peurs en amour, compassion, bienveillance. S’imposer d’être calme nous rend malheureux. Faire le vide, cela ne marche pas, et cela crée une sorte de culpabilité, parce qu’on n’y parvient pas. Méditer ce n’est pas développer un plus grand contrôle, mais découvrir un rapport plus confiant à la vie. En ce sens, la méditation pour moi est un peu le contraire de la manière dont elle est aujourd’hui présentée par beaucoup.

S’imposer d’être calme nous rend malheureux. Faire le vide, cela ne marche pas, et cela crée une sorte de culpabilité.


Vous aviez prédit que la méditation allait exploser en France. Le nombre de pratiquants a augmenté récemment. Cette révolution que vous annonciez est-elle en marche ?

Je me le demande. Trop souvent, la méditation est présentée de manière desséchée et desséchante. Elle nous coupe de la vie. J’ai parfois l’impression qu’elle devenue un outil d’un néolibéralisme cruel et aveugle. On fait le vide dans sa tête comme on vide son ordinateur, pour être plus efficace et ne plus avoir d’état d’âme. On veut gérer son capital bonheur comme un compte en banque. Or dans cette crise sanitaire, les gens font l’expérience que ce projet est inhumain et impossible. Des personnes dans le désarroi m’ont écrit que cette approche de la méditation créait en elles une sorte de panique, et elles s’en sentaient coupables. Il faut en réalité se laisser toucher par la crise pour transformer sa peur en compassion. C’est le défi de la pratique dans cette période.

Et en même temps, la crise du Covid-19 a fait émerger un rapport plus vrai à la méditation. Par exemple, on me demande beaucoup plus qu’avant : « Comment transforme-t-on nos douleurs ? » On ne se contente plus de vouloir s’en débarrasser. Et c’est en effet en touchant la douleur de tout son cœur, en la laissant fendre notre carapace, qu’on accéde à une plus grande sensibilité. Qu’on fait naître plus d’amour pour soi et les autres.

La méditation pour moi est un peu le contraire de la manière dont elle est aujourd’hui présentée par beaucoup.


Confinés, les gens ont pratiqué à la maison. Est-il difficile de méditer seul chez soi ?

Une bonne manière de commencer est de se foutre la paix. Non pas faire de la méditation un nouvel objectif qui nous angoisse, mais une occasion d’entrer en rapport à ce que l’on vit. Cela fait beaucoup de bien. La posture, la respiration, peuvent aider à être présent à la vie. Se synchroniser à son souffle synchronise à la vie en soi, fait comprendre que la vie est un mouvement, car le souffle vient et va. Habiter son corps est une manière de méditer. C’est tangible, concret, plus facile. Pendant le confinement, nous avons traversé des épreuves. Devant les souffrances, on peut avoir tendance à fuir. En période de crise, la méditation acquiert un sens plus profond. À travers elle, on transforme son angoisse. Par la méditation, nous pouvons découvrir une forme de sérénité. Mais être serein cela signifie aussi pouvoir pleurer, avoir le droit d’être mal. Toucher à quelque chose de plus profond. Pour les chrétiens, à la présence de Dieu en soi. L’Évangile ne présente pas le Christ comme celui qui est venu sur terre pour apporter du bien être mais pour nous permettre d’ouvrir notre cœur, de nous faire toucher une plus grande vérité de notre être. Il faut redonner à la méditation de la profondeur.


Méditer, c’est rencontrer ses émotions. N’est-ce pas lourd quand elles sont négatives ?

Je ne comprends pas très bien la distinction entre positif et négatif. Elle me gêne. Si ma mère est en Ehpad, si l’on craint qu’elle attrape le Covid-19 et si je suis inquiet, est-ce une pensée négative ? Non ! Quand notre cœur est blessé, c’est aussi le signe que nous sommes humain, plein d’amour. Il ne faut pas se priver de la capacité de rencontrer ses sentiments et si l’esprit est préoccupé, l’admettre. C’est tout simple : quand un enfant est angoissé, on lui fait un câlin pour qu’il s’apaise, on accepte son inquiétude avec tendresse. Ne peut-on pas faire de même avec soi ? Ou pour prendre une autre analogie : pendant le confinement, nous sommes nombreux à avoir appelé des gens qui étaient isolés. Cela leur faisait du bien. Méditer, c’est faire de même – se passer un coup de fil, prendre des nouvelles de soi.

Méditer, c’est se passer un coup de fil, prendre des nouvelles de soi.

Il ne faut pas se priver de la capacité de rencontrer ses sentiments et si l’esprit est préoccupé, l’admettre.


Ce n’est pas aller vers sa douleur ?

Non. Méditer c’est regarder la météo en marin, la sienne, celle du monde, puis prendre la mer ou savoir qu’il faut attendre quelques jours. S’ouvrir à la réalité rend plus libre et juste. Au lieu de chercher à courir derrière une idée abstraite de calme, partons à la rencontre de ce que nous vivons vraiment. Par là, nous pouvons le transformer, l’apaiser, le libérer. Et ainsi, et ainsi seulement, méditer nous permet d’entrer en rapport à une présence en nous, plus profonde. Quand on étudie le christianisme, on voit que la méditation est présente sous différentes appellations, en particulier sous le nom d’« oraison ». Elle a joué un rôle majeur en France au XVIIème siècle, grâce entre autres à des femmes comme Madame Guyon que j’aime particulièrement, qui s’y sont consacrées. J’ai beaucoup appris à leur contact.

L’oraison, c’est entrer en rapport à une présence en nous qui guérit. Que l’on soit croyant ou non, ces textes sont lumineux, humains. Ils nous montrent que méditer, c’est aller à la rencontre d’une altérité en soi. Se poser plus amplement, en allant au-delà des habitudes, des concepts, des idées reçues. C’est toucher une expérience simple, ordinaire et profonde. Cette présence donne confiance et nourrit. C’est là la clef, je crois, du sens de cette pratique.


Certains ont beaucoup écouté de musique pendant le confinement. Quel lien établir entre musique et méditation ?

Je travaille beaucoup avec des musiciens. À l’Opéra Bastille, je suis intervenu avec une amie violoniste. Elle a joué dix minutes, puis j’ai guidé une courte méditation, et elle a joué de nouveau. Or, avant et après, les auditeurs n’ont pas entendu la même chose. Certains ont avoué avoir été émus aux larmes. L’écoute était différente. Car méditer, c’est écouter. Non pas s’enfermer en soi, mais être à l’écoute de ce qui est. L’effet que produit même une courte pratique est captivant. Je l’ai constaté aussi avec des dirigeants d’entreprise, a priori pas très intéressés. Une fois l’expérience achevée, ils ont senti que la séance les avait rendus plus présents, plus à l’écoute, plus en rapport à leur propre cœur.

Nous craignons tous d’être blessés, fragiles. Or toucher son chagrin apaise

Vous dites que méditer mène à un engagement éthique.

Oui, c’est le but. Matthieu Ricard explique qu’on peut avoir l’impression aujourd’hui que la méditation est une sorte d’outil et que même un serial killer pourrait l’utiliser pour pouvoir tuer plus de gens… C’est un danger réel. Je partage son analyse. La méditation que je cherche à transmettre doit avoir une dimension éthique. Se transformer en amour. Sinon, je n’en voudrais pas !

Nous craignons tous d’être blessés, fragiles. Or toucher son chagrin apaise.


Votre propre pratique a-t-elle évolué ?

Il ne faut pas craindre la tendresse de son coeur.
Elle fait fondre la glace qui l’enserre.

Pendant cette crise, il m’est arrivé, en écoutant les informations, de ressentir un immense chagrin. Je l’ai mué en compassion. J’ai essayé de transmettre beaucoup de pratiques aussi aux membres de mon école : comment entrer en rapport avec son chagrin sans peur. Car nous craignons tous d’être blessés, fragiles. Or toucher son chagrin apaise. C’est le grand paradoxe de toute voie spirituelle authentique. Derrière beaucoup de nos difficultés, il y a la peur. Derrière la peur, il y a une grande tendresse. Et derrière cette tendresse, il y une dimension d’ouverture, un ciel ouvert et bon. Il ne faut pas craindre la tendresse de son coeur. Elle fait fondre la glace qui l’enserre.


Pour aller plus loin…

Dernière mise à jour 16 juin 2020 – Mise en ligne : le 20 mai 2020
Eric Savalli – Yoga Azur

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